« Chez nous on se bat contre le recyclage » lance Aneta Sidor, fondatrice de l’épicerie A la source. Non, Aneta n’est pas la cheffe de file d’un groupuscule de commerçants anti-écolos. Au contraire, son magasin propose un mode de consommation plus respectueux de l’environnement et sa démarche va bien plus loin que le simple recyclage : A la source est une épicerie zéro déchet. Cette initiative s’inscrit parfaitement dans le cadre d’un nouveau modèle économique qui fait de plus en plus parler de lui, l’économie circulaire.
Vous avez déjà certainement entendu ce terme quelque part, mais savez-vous vraiment de quoi il s’agit ? L’économie circulaire est souvent réduite à l’économie du recyclage. Mais nous venons de le voir avec l’exemple de l’épicerie d’Aneta, c’est loin d’être le cas. De l’approvisionnement en matière premières jusqu’à l’allongement de durée de vie du produit en passant par son éco-conception, ce concept est bien plus complexe qu’on ne le croît. A travers l’explication imagée des sept piliers structurant l’économie circulaire, essayons de nous familiariser avec ce modèle économique novateur qui pourrait bien révolutionner la société de demain.
I) L’offre des acteurs économiques
Pilier 1 : L’approvisionnement durable
L’approvisionnement durable peut être défini comme un mode d’exploitation efficace et responsable des ressources. Cela passe par une exploitation dans leur totalité des gisements non renouvelables (ne pas les « écrémer »), par une exploitation des ressources renouvelables qui tienne compte de leur capacité de renouvellement, par une limitation des impacts environnementaux lors de l’exploitation, par un recours à des matières premières issues du recyclage. Alors que cette définition, proposée par l’Ademe (l’Agence française de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), semble couler de source, elle reste assez mal comprise des grosses industries extractives.
Prenons l’exemple de la multinationale agroalimentaire Unilever (qui possède notamment les marques Lipton, Magnum, Carte d’Or). Sur leur site, on peut lire : « l'approvisionnement durable nous permet d'assurer nos réserves et de réduire le risque et l'instabilité dans nos chaînes logistiques de matières premières, tout en garantissant à nos consommateurs des marques dignes de confiance ». Apparaît ici, comme dimension première de l’approvisionnement durable, la sécurité économique. Unilever n’a pas tort, « durable » ne saurait renvoyer à la seule dimension environnementale. En fait, un approvisionnement durable n’est ni un approvisionnement écologique, ni un approvisionnement efficace sur le plan économique, ni même responsable sur le plan social; mais bien les trois à la fois. C’est la simultanéité de ces dimensions qui rend l’approvisionnement durable si difficile à atteindre et la notion même de « durable » plus complexe qu’il n’y parait.
Certaines organisations ont heureusement compris la portée du concept, du consortium international RSPO, qui réunit tous les acteurs de la filière de l’huile de palme, à des initiatives beaucoup plus locales comme Pocheco. Cette PME lilloise spécialisée dans la production d’enveloppes a réussi, après plusieurs années d’effort, à rendre l’intégralité de ses intrants durables, tant dans leur nature que dans leur distribution. Ainsi, le papier et l’encre qu’elle utilise proviennent respectivement du recyclage et de pigments naturels et renouvelables ; l’eau utilisée dans le processus de production provient quant à elle d’une rétention d’eau installée sur le site qui capte les eaux de pluie ; l’électricité consommée par les machines procède pour sa part des panneaux solaires installés sur le toit. Et là où Pocheco frappe fort, c’est dans la revalorisation de ses déchets comme nouveaux intrants dans son propre processus de production : l’eau consommée, après lessivage et essorage des enveloppes, est évacuée non pas vers les égouts mais vers une bambouseraie plantée sur le site dont les racines se nourrissent des impuretés d’exploitation et dont les tiges, une fois mûres, sont coupées puis incinérées dans un poêle pour rendre le site autonome en besoins thermiques. Pocheco réussit à ne se fournir qu’en intrants renouvelables et leur exploitation se fait in-situ (peut-on faire des circuits de distribution plus courts !). Les deux aspects de l’approvisionnement sont donc durables : l’extraction des matériaux/énergies et leur livraison.
Pilier 2: L’éco-conception
L’éco-conception est pour la plupart d’entre nous un terme plutôt mystérieux. Car si l’on a bien compris qu’il s’agissait à priori d’un mode de conception plus respectueux de l’environnement, on a toutefois du mal à visualiser les implications concrètes et les multiples possibilités! Pour la faire courte : « L’éco-conception consiste à intégrer l’environnement dès la conception d'un produit ou service, et lors de toutes les étapes de son cycle de vie » (AFNOR, 2004). L’objectif de l’éco-conception? Réduire l’impact environnemental d’un bien, d’un service ou d’un procédé lors de n’importe laquelle des étapes de son cycle de vie, et si possible à chacune d’entre elles. Cela passe par l’optimisation de la consommation d’énergie, la réduction du gaspillage, un tri des déchets rigoureux, l’utilisation d’intrants respectueux de l’environnement, le rejet de l’obsolescence programmée ou encore la facilitation du recyclage futur du produit.
Pour illustrer plus concrètement cette notion, voici l’exemple d’une entreprise originale et inspirante : la start-up Cine’al basée à Tel Aviv a bien compris l’intérêt de réutiliser les propriétés exceptionnelles de certaines matières vivantes (animales ou végétales) pour créer des objets 100% biodégradables. Ainsi, après plusieurs années de recherche, Shachar Richter a réussi à développer un matériau, qu’il appelle « hydromash », à partir des cellules de méduses retrouvées échouées sur les plages avec des propriétés d’absorption exceptionnelles, pour fabriquer des textiles absorbants, écologiques et entièrement biodégradables!
Pilier 3 : L’écologie industrielle et territoriale
L’économie circulaire prend également en compte les relations inter-entreprises. C’est ici l’écologie industrielle et territoriale qui entre en jeux. Ce concept, aussi appelé symbiose industrielle, renvoie à un mode d’organisation interentreprises caractérisé par des échanges de flux visant à optimiser l’utilisation des ressources en énergie et en matériaux. Les synergies ainsi créées font bel et bien penser aux symbioses présentes dans les écosystèmes naturels. Dans la nature, pas de gaspillage : les déchets produits par les uns font le festin des autres.
C’est ce mécanisme d’optimisation des ressources qu’ont essayé de reproduire à leur échelle les 95 entités membres de Biotop, l’éco-réseau d’entreprises de la Communauté d’Agglomération de La Rochelle. L’action du phare phare du réseau porte sur la réduction des déchets, l’amélioration de leur tri et de leur valorisation. Biotop a par exemple conçu et réalisé « Melting Pot », la première solution de toiture végétalisée 100% recyclée. Le substrat est composé de déchets des différentes entreprises du réseau : coquilles de moules, marc de café, fibres de bois et briques concassées. La bonne nouvelle, c’est donc que les retombées économiques sont aussi intéressantes que l’impact environnemental : en 2016, ce sont 110 tonnes de déchets réutilisés et 65 000 euros d’économies générées.
Pilier 4 : L’économie de la fonctionnalité
L’économie de la fonctionnalité, ou économie de l’usage, consiste à privilégier l’usage à la possession d’un bien. Le produit appartient au fabricant et le consommateur le loue et achète des services liés au cycle de vie de cet objet.
L’économie de la fonctionnalité se distingue du simple concept de location car cherche à réduire les externalités négatives de l’activité sur l’environnement. En effet, la consommation de matières premières et d’énergie est réduite, l’obsolescence programmée est mise à mal car le fabricant cherche à faire durer le produit le plus longtemps possible, et le recyclage du produit est plus efficace, car pris en charge par le fabriquant.
Michelin s’est par exemple engagé dans cette démarche dans sa relation avec les transporteurs routiers professionnels : il ne vend plus le pneu mais le loue au kilomètre parcouru. Cela permet de réduire la quantité de matière utilisée pour fabriquer les pneus, de faire durer l’usage d’un pneu en le recreusant, de recycler le pneu et de réutiliser certains matériaux pour refabriquer un pneu. Par cette démarche, Michelin a multiplié par 2.5 la durée de vie des pneus, a augmenté son chiffre d’affaire et fidélise sa clientèle professionnelle. L’économie de la fonctionnalité est donc une solution qui s’inscrit dans une démarche de développement durable sans sacrifier l’aspect économique de l’activité.
II) Du côté des consommateurs
Pilier 5 : La consommation responsable
La succession des crises économiques et financières à partir de la fin des Trente Glorieuses ont fait émerger des théories nouvelles qui remettent en cause le fondement même de croissance économique. Parmi les théoriciens de la décroissance, Pierre Rabhi développe l’idée qu’un monde fini aux ressources limitées ne peut se développer vertueusement qu’en pleine conscience de cette finitude, il prône la “sobriété heureuse” face à la croissance démesurée et affirme la nécessité d’un nouveau paradigme sociétal qui placerait le respect de l’individu et de la nature avant la recherche du profit. Toujours pour Pierre Rabhi, la transition vers un nouveau paradigme n’est possible que si chacun “fait sa part” et à l’échelle individuelle, “faire sa part” cela peut être de commencer par consommer responsable.
Une consommation dite responsable désigne la mise en place d’actes d’achats qui tiennent compte de leurs implications sociales et environnementales tout au long du cycle de vie du produit qu’il soit matériel ou immatériel (production, distribution, utilisation, fin de vie). Cette définition tient compte de la dimension citoyenne du consommateur et implique une responsabilisation de ce dernier vis-à-vis des conséquences de sa consommation.
Consommer responsable c’est donc choisir de consommer un bien dont le mode de production est socialement vertueux et impact faiblement l’environnement. Par exemple c’est choisir de se chauffer avec une énergie verte ou encore d’acheter un produit fabriqué par une entreprise certifiée B Corp, label américain qui atteste qu’elle cherche non à “être la meilleure entreprise du monde, mais la meilleure pour le monde”. Une des entreprises certifiée en France est La Ruche qui dit Oui, qui se propose de donner des outils aux citoyens pour “produire, distribuer et consommer de façon plus juste et plus durable”. Les “ruches” constituent ainsi des réseaux de distributions directs où sont mis en relation producteurs locaux et consommateurs. Consommer durable implique aussi une modification du rapport à l’utilisation faite des produits, en effet, prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux de sa consommation conduit à mieux réfléchir ses actes d’achat et bien souvent à privilégier la qualité par rapport à la quantité (cf. partie sur l’allongement de la durée d’usage). Enfin, consommer durable implique de tenir compte de la fin de vie du produit et donc de son recyclage, pour les produits alimentaires cela peut être par exemple de faire le choix de composter ses débris végétaux pour les utiliser ensuite comme engrais naturel par exemple.
Ces modes de consommation responsables se mettent en place à l’échelle individuelle mais aussi collective. En effet, nombreux sont les groupements d’individus qui permettent ces initiatives de transition. Ainsi les Systèmes d’Echanges Locaux (SEL) proposent des échanges entre citoyens à l’aide d’une “monnaie” dont l’unité de compte utilisée n’est pas annexée sur la monnaie étatique et n’a pas de valeur financière mais sert de moyen à l’échange. Par ailleurs le don et le partage apparaissent comme nouvelle composante essentielle des échanges. On peut penser par exemple aux plateformes collaboratives comme Blablacar qui actent le passage d’une économie des biens à une économie de service.
Enfin, selon Alain Anquetil « La consommation responsable dépend surtout d’un changement de fond de l’éthique de la vie économique ». Si on assiste à l’éveil des consciences citoyennes et à la mise en place à une échelle individuelle comme collective de consommations responsables, la mise oeuvre d’une action politique étatique pour redéfinir les fondements de l’échange et permettre le changement de “l’éthique de la vie économique” apparaît nécessaire.
Pilier 6: L’allongement de la durée d’usage
Une fois l’acte d’achat réalisé, les principes de l’économie circulaire incitent le consommateur à allonger au maximum la durée d’usage du produit. Dans une société de consommation de masse, les effets de mode couplés au phénomène d’obsolescence programmée font des ravages au niveau écologique. Chaque habitant en France produit 590 kg de déchets par an dont 17 à 23 kg de DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques). Face à ce désastre environnemental, la garantie légale de conformité
de deux ans actuellement imposée par la loi est bien trop courte pour certains équipements électroniques et électroménagers qui pourraient durer des années. C’est pour cela que l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) propose d’instaurer une extension de la garantie à 5 ou 10 ans en fonction des produits.
A l’échelle des consommateurs, il existe trois manières d’agir pour allonger la durée d’usage des produits. On les appelle les trois R :
- Le Réemploi. On parle ici de réutilisation du produit à l’identique par un second consommateur via le marché de l’occasion. La plateforme web Vertuose se donne par exemple pour mission de Fluidifier la chaine du réemploi en facilitant au maximum, pour le consommateur, le don de produits d’un côté, et le réflexe « achat d’occasion » de l’autre.
- La Réutilisation. Elle permet d’utiliser certains déchets ou parties de déchets encore en état de fonctionnement dans l’élaboration de nouveaux produits.
- La Réparation. Il s’agit de remettre les produits défectueux en état de marche au lieu de les jeter. Pour passer à l’action, l’association Les Ateliers Soudés propose à ses adhérents d’apporter leurs objets qui ne fonctionnent plus afin de les réparer ensemble lors d’ateliers de formation collectifs. Le but étant également d’autonomiser les consommateurs dans le processus de réparation.
III) En fin de cycle, la gestion des déchets
Pilier 7: Le recyclage
Petit point définition avant de commencer : le recyclage consiste en la « réintroduction directe d’un déchet dans le cycle de production dont il est issu, en remplacement total ou partiel d’une matière première neuve » (Dictionnaire environnement, www.actu-environnement.com). Cela suppose donc un tri préalable des déchets, d’abord des particuliers puis des centres de tri. Plusieurs difficultés entrent en jeu, comme le décrit François Moisan, directeur exécutif de la stratégie et de la recherche de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) dans une vidéo sur le site www.futura-science.com, et aucune technique de recyclage n’est la solution miracle. Pour un recyclage efficace de nouvelles techniques pour automatiser les tris sont en élaboration. Le problème majeur reste la séparation des différents matériaux. Même pour les emballages biodégradables qui se décomposent naturellement et dans des délais assez courts, le problème de séparation d’avec les autres matériaux se pose.
Pour illustrer de façon pertinente cette partie néanmoins majeure de l’économie circulaire, prenons l’exemple de l’entreprise TerraCycle, PME internationale créée aux Etats-Unis en 2001. TerraCycle se définit comme le leader mondial dans le traitement des déchets difficilement recyclable. Ils proposent différentes formules afin de recycler les déchets des particuliers et des entreprises, ainsi que des programmes de collecte gratuits sponsorisés par des entreprises partenaires. Tout le monde peut participer à l’un de ces programmes gratuits en créant un compte sur leur site internet. Le recyclage est ainsi facilement accessible à tous, puisque tout le monde peut participer à sa première étape : le tri des déchets. Cette participation est récompensée par un système de points convertis en dons à des associations. Aujourd'hui, dans 20 pays, plus de 63 millions de personnes ont collecté des milliards de déchets, récoltant ainsi plus de 15 millions de dollars pour des associations à travers le monde.
TerraCycle ne se contente pas de trier et recycler les déchets des autres, l’entreprise elle-même est éco-responsable. Une stagiaire dans leur entreprise de Londres décrit l’une des salles de travail de cette façon : « ce qui rend cette pièce si spéciale, c’est le fait que les murs sont recouverts de boites d’œufs. En effet, cela permet de mieux isoler le son, et en tant qu’entreprise de gestion des déchets, notre but est de diminuer ceux-ci, et au lieu de les jeter, nous les réutilisons, car nous le savons bien, le meilleur déchet est celui qui n’existe pas. ». Cohérente et engagée, TerraCycle s’impose donc comme l’exemple type de la firme du recyclage.
Conclusion
Ces derniers temps, l’accélération du dérèglement climatique et la multiplication des catastrophes naturelles sont allées jusqu’à créer les premiers migrants climatiques et montrent que les limites de notre planète peuvent être atteintes. L’économie circulaire tient compte de ce constat. Elle se propose de répondre à ces défis sans pour autant remettre fondamentalement en cause notre mode de vie actuel. Recycler, réparer, lutter contre l’obsolescence programmée, ou concevoir des produits respectueux de l’environnement par exemple ne demandent pas de remettre en cause notre confort, mais requièrent simplement de changer de mauvaises habitudes. Finalement, l’économie circulaire semble être une façon logique d’envisager le cycle de la consommation, car de la même manière que dans la nature rien ne se perd, tout se transforme.
Sources :
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